PYRAMIDE, un outil d’évaluation des pratiques agricoles et de leurs impacts sur la biodiversité
Préambule
Depuis près de 8000 ans, le développement de l’agriculture façonne les paysages et la nature. Les révolutions agricoles se succèdent et permettent la création de milieux ouverts qui constituent de nouveaux habitats pour de nombreuses espèces encore présentes dans nos campagnes. Cette biodiversité enrichit notre patrimoine naturel et fournit de nombreux services à la société, communément appelés services écosystémiques (voir ci-contre).
La dernière révolution agricole en date, souvent appelée révolution verte, a provoqué un profond bouleversement des pratiques agricoles. Les progrès de la phytogénétique, couplés à d’autres moyens techniques comme la mécanisation des travaux agricoles, le recours aux engrais minéraux et l’emploi de pesticides permettent une augmentation spectaculaire des rendements agricoles. Cette intensification des pratiques agricoles s’accompagne toutefois d’un déclin hautement préoccupant de la biodiversité et perturbe fortement les équilibres établis depuis plusieurs millénaires. Aujourd’hui, de nombreux courants agricoles se développent pour essayer d’enrayer ce déclin et de concilier les objectifs de production de la révolution verte avec le maintien de la biodiversité et la protection des écosystèmes. Depuis cette conscientisation, la recherche scientifique et agronomique s’attèle à développer de nouvelles pratiques plus respectueuses tout en cherchant à mieux objectiver l’impact de ces dites pratiques sur la biodiversité.
PYRAMIDE, un outil de diagnostic biodiversité destiné aux agriculteurs et aux conseillers agricoles
PYRAMIDE est un outil ayant pour vocations l’évaluation systémique des pratiques mises en œuvre au sein d’une exploitation agricole et l'identification des leviers les plus efficaces pour les agriculteurs désireux d’améliorer l’impact biodiversité de leurs exploitations. Cet outil simple d’utilisation permet, à partir d’un questionnaire en ferme, d’obtenir un diagnostic lisible et facile à comprendre pour l’exploitant et le conseiller. L’encodage et la récolte des données nécessitent l’intervention d’un conseiller. La performance d’une exploitation est évaluée à l’aide de 11 indicateurs et d’un code couleur pour chacun d’entre eux. Les résultats sont hiérarchisés dans une figure de forme triangulaire comme illustré à la figure ci-dessous. Les pratiques situées à la base du triangle correspondent aux leviers les plus efficaces et constituent la fondation d’une exploitation accueillante pour la biodiversité. Bien qu’ayant un intérêt réel, la mise en place exclusive de pratiques situées au sommet du triangle ne constitue pas un effort suffisant pour améliorer de manière significative l’impact biodiversité d’une exploitation.

Un outil basé sur la littérature scientifique
Les indicateurs sélectionnés dans Eval-Naw sont basés sur une analyse de la littérature scientifique. Pour les pratiques les plus souvent citées, nous avons analysé une série de publications scientifiques et déduit leurs impacts sur les groupes d’espèces les plus souvent rencontrées dans les milieux agricoles. Les effets présumés de chaque pratique sont résumés dans la figure ci-dessous, par la couleur et le sens de la flèche. L’épaisseur de cette flèche reflète le niveau de connaissance/consensus scientifique. Le texte ci-dessous décrit brièvement les pratiques reprises dans ce tableau.

Construire un maillage écologique sur son exploitation [1]
Construire un maillage écologique sur son exploitation consiste à réintégrer de la végétation semi-naturelle et des mares au sein de la matrice agricole (haies, bandes enherbées, bandes fleuries, prairies naturelles, céréales laissées sur pied…). Tous ces éléments du paysage constituent des habitats et offrent des ressources alimentaires qui permettent d’assurer un développement optimal de la biodiversité. En Wallonie, les agriculteurs qui maintiennent ce type d’infrastructure au sein de leurs exploitations sont soutenus financièrement et peuvent bénéficier d’un conseil adapté grâce aux mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) de la politique agricole commune (pour davantage d’informations à propos des MAEC, www.natagriwal.be).
Réduction de la taille des parcelles [2]
La taille du parcellaire a également une importance cruciale. En effet, des études de plus en plus nombreuses démontrent que des parcelles de grandes cultures de taille modeste (ne dépassant pas 5 ha) sont plus favorables au développement de la biodiversité probablement grâce à la multiplication des bordures de champs qui font office de zones refuges pour de nombreux organismes. Ce phénomène est observé même en absence de végétation semi-naturelle entre les parcelles (haies, bandes enherbées…). La tendance vers l’agrandissement des parcelles de terres arables prônée par certains contrats de culture est une pratique qu’il faut éviter afin de ne pas augmenter davantage la pression sur la biodiversité dans les zones de grandes cultures.
Diversification des cultures [3] et cultures favorables à l’environnement [4]
Contrairement aux idées reçues, diversifier les cultures [3] au sein de la matrice agricole semble avoir des effets limités sur la biodiversité. Ce résultat surprenant s’explique probablement par le fait que bien souvent, les cultures de diversifications introduites, sont des cultures intensives (ex : pommes de terre, betteraves, cultures de légumes plein champs…) qui exercent une plus forte pression sur l’environnement que les cultures traditionnelles comme les céréales. Cette pratique n’est donc pas retenue comme étant une pratique favorable à la biodiversité. A contrario certaines cultures (légumineuses fourragères, céréales de printemps, mélanges céréales légumineuses…) exercent une pression environnementale beaucoup plus faible notamment car elles nécessitent peu d’intrants chimiques pour être cultivées. Ces cultures favorables à l’environnement [4] (entre autres celles reprises dans l'éco-régime « cultures favorables l’environnement ») peuvent également offrir des ressources intéressantes pour les insectes pollinisateurs surtout lorsque que l’on prévoit une zone refuge non fauchée.
Agriculture biologique [5] et réduction des risques liés aux pesticides [6]
Les travaux de synthèse les plus récents sont univoques : les pesticides ont de nombreux effets létaux sur la biodiversité (IPBES, 2016). Ce risque peut toutefois être diminué en réduisant le recours aux pesticides [6]. L’agriculture biologique [5] constitue la réponse la plus évidente et la plus efficace dont l’efficacité est aujourd’hui bien avérée scientifiquement. Les pratiques permettant de réduire les pertes de pesticides à l’épandage [6] (épandage par vent modéré, buses anti-dérives, bandes tampons…) permettent de limiter partiellement certains effets indésirables comme la dérive des produits en dehors de la zone traitée. Les produits utilisés pour lutter contre le parasitisme chez les animaux [10] peuvent également se révéler toxiques pour la faune lorsqu’ils se retrouvent dans les déjections des animaux au pâturage. Il convient donc d’éviter au maximum les traitements durant la saison de pâturage, d’objectiver au maximum la nécessité de traiter à l’aide d’analyses et de travailler avec les molécules les moins nocives pour la biodiversité.
Réduction du travail du sol [7]
La vie du sol est fortement impactée par le travail du sol. La macrofaune (vers de terres, carabes…) est directement impactée par le travail du sol soit en les tuant (notamment via l’utilisation d’outils animés du type herse rotative) ou en les exposant aux prédateurs et en perturbant l’habitat. L’impact du travail du sol et du labour sur la microflore est moins prononcé même si certaines études suggèrent une augmentation de l’activité microbienne dans les sols non labourés. De manière générale, il est établi que la réduction du travail du sol [7] permet une augmentation des abondances et de la diversité des organismes du sol même si des réponses variables peuvent être observées. On peut enfin noter que les effets bénéfiques liés à l’abandon du labour pourraient également se répercuter plus haut dans les chaînes trophiques et se révéler bénéfiques pour certains oiseaux se nourrissant d’insectes ou de graines.
Couverture du sol et intercultures [8]
Bien que pouvant être étudié de manière isolé, le travail du sol se conjugue le plus souvent avec d’autres pratiques culturales comme l’augmentation de restitution de biomasse via les intercultures [8]. Les couverts végétaux sont de plus en plus considérés pour leurs effets globalement bénéfiques sur la qualité et la vie des sols. Selon leur composition, les couverts peuvent également fournir des ressources alimentaires pour certains oiseaux lorsque le couvert est maintenu durant l’hiver (destruction du couvert la plus tardive possible) et pour les pollinisateurs à la fin de l’été lorsque la ressource florale commence à manquer pour autant que le semis soit suffisamment précoce.
Prairies naturelles [9.1] et réduction de la charge en bétail [9.2]
Les prairies permanentes constituent un habitat à part entière dont l’existence en Wallonie est directement liée à l’activité agricole et plus spécifiquement à l’élevage de ruminants. En Europe, certaines prairies tempérées constituent des « hot spot » de biodiversité. On estime par exemple que plus de 18% des plantes vasculaires endémiques et environ 2/3 des espèces de papillons dépendent directement des prairies naturelles [9.1]. L’intensification des prairies permanentes (fertilisation, pâturage/fauche intensif) favorise les espèces à croissance rapide et cause une homogénéisation des communautés dépendant de l’écosystème prairial. La protection de prairies permanentes à haute valeur biologique nécessite une gestion adaptée inspirée des pratiques ancestrales. Le programme MAEC wallon et le réseau Natura2000 répondent à ce besoin en offrant des compensations financières et un conseil adapté pour les agriculteurs actifs dans le maintien de prairies gérées favorablement pour la biodiversité (méthode ciblée « prairie de haute valeur biologique » et méthode de base « prairie naturelle »).
La charge en bétail (calculée en UGB/ha) reflète le niveau global d’intensification d’une exploitation et de ses prairies. Une faible charge est garante d’un recours limité aux fertilisants et favorise les prairies diversifiées. La faible charge est soutenue par la MAEC « autonomie fourragère ».
Précautions lors de la fauche [11] et autres petits gestes [12]
Des efforts peuvent également être réalisés pour réduire la mortalité lors de la fauche [11]. Renoncer aux conditionneurs, adapter son itinéraire et la vitesse de travail (maximum 10 km/ha, fauche centrifuge), recourir aux barres d’effarouchement constituent des pratiques permettant de limiter la mortalité lors de la fauche des prairies pour les insectes, les mammifères (lièvres, chevreuils…) et les oiseaux. Enfin, n'oublions pas tous les petits gestes favorables [12] comme l’installation de nichoirs, de plots à alouettes placés dans les champs de blé, hôtels à insectes, pierriers et autres tas de branchages qui peuvent servir de micro habitats pour toute une série d’organismes vivants. Les bâtiments d’élevage peuvent également se révéler accueillants pour les chauves-souris et certains passereaux.